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Amandine Salique
30 novembre 2013

Chapitre 3 - Mutisme

Une nouvelle semaine commençait et j’avais hâte de revoir les beaux yeux sombres dans lesquels j’aurais pris plaisir à me noyer de nouveau. Il était agréable de pouvoir rejoindre mon établissement à pied. L’automne était encore timide, nous permettant de profiter de quelques journées chaleureuses, accompagnées d’une brise légère qui faisait virevolter les feuilles couleur brique et or.

Sur le chemin du lycée je croisais Lamya. Elle avait l’air aussi ravie que moi de cette rencontre et saisie cette occasion pour me raconter son week-end.

- Salut Emma, comment tu vas ?

- Bien et toi ? Tu as passé un bon week-end ?

- Excellent. Samedi, j’ai fait les boutiques avec mes sœurs et dimanche des cousins sont venus passer la journée avec nous. J’ai quand même trouvé le temps de faire le DM de maths dimanche soir. Mais assez parlé de moi, qu’est-ce que tu as fait, toi ?

J’hésitais à lui dévoiler la totalité des évènements de peur qu’elle ne découvre mes sentiments pour Laurent, et qu’elle les lui révèle de manière intentionnelle ou par mégarde. Je me contentais donc de lui raconter ces derniers jours sans entrer dans le détail :

- Eh bien samedi j’ai diné avec Laurent, chez lui, puis nous avons passé l’après-midi sur le devoir de maths. Ce n’est vraiment pas sa matière de prédilection mais j’ai pris autant de temps qu’il le fallait.

- Tu es une vraie mère pour lui !

- J’essaye simplement de l’aider. Lui répondis-je avec un manque de conviction presque flagrant, puis j’ajoutais rapidement : Enfin bref, dimanche il est venu chez moi, nous avons mangé ensemble et nous avons discuté le reste de la journée. Enfin jusqu’à ce que son téléphone sonne et qu’il parte précipitamment.

- Et tu sais qui c’est qui l’a appelé ? me demanda-t-elle les yeux éclairés d’une curiosité nouvelle.

- Non, je n’en ai pas la moindre idée.

 

Ce n’était pas la stricte vérité car je soupçonnais Sandra, mais j’estimais qu’il était mal venu de dire cela à Lamya. Il me paraissait difficile de lui révéler cette supposition sans lui parler de la conversation que j’avais échangée avec Laurent, au sujet de son couple. Il avait alors choisi de me faire confiance et il m’était impossible de trahir cette confiance, même au nom de l’amitié que j’éprouvais pour Lamya. Si Laurent souhaitait se confier à Lamya, il était libre de le faire, mais ce n’était pas à moi de révéler ses secrets, ses doutes.

Nous arrivâmes devant l’établissement et nous devions presser le pas car nos bavardages risquaient de nous mettre en retard. La sonnerie de début du cours avait déjà retenti et les étudiants de notre classe étaient en train de rentrer. Un petit groupe de trois garçons s’attardait encore devant l’entrée. L’un d’eux, Damien, m’interpela :

- Salut Emma ! Tu…tu as passé un bon week-end ?

- Oui oui ! Lui répondis-je quelque peu surprise de cette intervention.

- On se dépêche ! Intervint alors M. Besson notre professeur de bande dessinée et scénario.

Je me hâtais de rentrer dans la salle et jetais un regard circulaire pour trouver Laurent, car étant donné l’heure tardive il était probablement arrivé depuis un moment. Mais je constatais avec effroi qu’il n’était nulle part. J’avais beau regarder dans chaque coin de la pièce, y compris dans les endroits les plus improbables, il n’y était pas. Je restais plantée là, devant l’entrée et ce fût Lamya qui me sorti de ma torpeur.

- Dépêches-toi Emma, le prof n’a pas l’air content ! Me lança-t-elle en m’entraînant au fond de la salle.

Je la suivis puis m’installais en soupirant. Je me demandais quelle pouvait-être la raison de son absence, quand Lamya fit écho à mes pensées :

- C’est bizarre que Laurent ne soit pas là ? J’espère qu’il n’est pas malade.

- Moi aussi.

 

Le cours se passa sans discutions. J’étais bien trop concentrée sur mes réflexions pour être loquace. Où était-il ? Qu’est-ce qui avait bien pu le retenir ? Est-ce que ça avait un rapport avec l’appel téléphonique qu’il avait reçu ? Et si j’allais le rejoindre, pour trouver une réponse à toutes ses questions. Je me voyais me lever de ma chaise, me saisissant de mes affaires et me dirigeant vers la porte. Mais M. Besson me ramena à la réalité lorsqu’il traversa la salle pour distribuer à chaque étudiant une feuille d’exercices. La vision de ma silhouette traversant la pièce disparut pour laisser place à une réalité toute autre, une chaise vide à côté de moi.

Chaque fois que j’observais l’horloge, j’étais forcée de constater que le temps avait suspendu son court. Le sablier du temps était capricieux, il avait décidé de prolonger mon supplice. La tension qui prenait possession de moi peu à peu devenait palpable. Les muscles de mon corps se contractaient et se décontractaient sous l’effet de ce stress. Je m’étais mise à battre le rythme avec mon crayon, sans même m’en apercevoir. Mais Lamya me saisi la main pour interrompre ce tapage qui devait perturber sa concentration, puis elle observa ma réaction. Je lui souris pour la rassurer un peu et décidais de me concentrer sur l’exercice que M. Besson nous avait confié, en espérant qu’ainsi le temps reprendrait son court.

La sonnerie retentit enfin. J’espérais alors que Laurent referait surface et qu’il ne s’agissait en fait que d’un simple retard. Mais les minutes passaient et il n’était toujours pas là. Constatant mon état de nerf, Lamya essaya de me rassurer :

- Je suis sûre qu’il ne va pas tarder.

- Tu as surement raison mais c’est plus fort que moi.

Les heures s’écoulaient au compte gouttes et Laurent restait absent. Il fallait se faire une raison et se concentrer sur les cours. Mais j’avais beau essayer, mon esprit continuait à vagabonder à sa guise.

 

L’heure du déjeuner arriva enfin, et je me rendis à la cafétéria en compagnie de Lamya. Elle faisait preuve de beaucoup d’indulgence avec moi car je n’étais pas de très bonne compagnie. Il m’était difficile d’être agréable étant donné mon état d’inquiétude et elle semblait le comprendre sans même que j’ai à le lui expliquer. Tout paraissait si simple avec elle. Pendant le repas, elle entreprit de me divertir :

- Tu as vu la tête que faisait Damien lorsqu’il est venu te parler ce matin ?

- Non, j’ai pas fait attention. Pourquoi ?

- Il avait l’air tellement intimidé qu’il avait du mal à aligner deux mots. Tu n’as vraiment rien remarqué ?

- Non, je dois t’avouer que j’avais la tête ailleurs.

- En effet, je crois que c’est le moins qu’on puisse dire ! J’ai eu droit à de longs soupires touuute la matinée.

Je lui souris en guise d’excuses, puis j’ajoutais :

- Je suis sincèrement désolée Lamya.

- Ne t’inquiète pas. Je comprends. Mais tu ne devrais pas t’inquiéter comme ça pour Laurent, c’est un grand garçon.

Elle réfléchie un instant puis elle ajouta :

- Je sais ce qu’il te faut pour te changer les idées, c’est une soirée entre filles. Tu es libre demain soir ?

- A priori oui. Alors ce sera chez toi ou chez moi ? Lui demandais-je, séduite par sa proposition.

- Chez toi si tu veux bien. Comme ça je pourrai profiter d’un magnifique coucher de soleil. Chez moi, j’ai pas la même vue.

- Si tu veux tu peux rester dormir. Comme ça tu pourras aussi profiter du lever de soleil si tu veux.

- Ça marche ! Me répondit-elle.

 

Les cours de l’après-midi débutaient, toujours sans aucune nouvelle de Laurent. J’essayais de faire bonne figure le reste de la journée, même si le cœur n’y était pas. Les heures s’écoulaient avec autant de lenteur.

La comédie arriva à son terme lorsque la sonnerie du dernier cours retentis et que Lamya me raccompagna chez moi. Nous étions au pied de l’immeuble et je sentais qu’elle cherchait quelques paroles réconfortantes, mais je tentais de la rassurer en esquissant un sourire avant de prendre congé :

- On se voit demain ?

- Oui. Et avec le sourire ! Enfin, je veux dire sincère le sourire ! S’exclama-t-elle un peu moqueuse.

- Ok ! Je vais essayer. Mais je ne te promets rien.

- Allez, bonne soirée.

- Toi aussi. A demain !

 

Je grimpais dans ma tour, non mécontente de pouvoir m’isoler un peu. Il était toujours pesant de jouer un rôle. J’aurais pourtant dû y être habituée après ces nombreuses années de comédie, dont le réalisateur n’était autre que ma mère. Lamya m’apportait beaucoup de réconfort, mais c’était Laurent que j’avais envie, besoin de voir.

La journée passée n’avait fait que renforcer mon inquiétude. Il fallait que je saches. Me rendre chez lui n’était peut-être pas la meilleure solution. Que la cause de son absence soit physique ou morale, il me semblait indélicat de m’imposer. Lui envoyer un texto était sans doute la seule façon de lui signifier mon soutien en le laissant libre de répondre s’il le souhaitait. Je lui envoyais donc le message suivant :

« Salut ! J’espère que tu vas bien et que la cause de ton absence n’est pas très grave. Tu reviens demain ?  Bises, Emma.»

J’espérais qu’il me réponde rapidement mais il n’en fît rien. En attendant, je décidais de prendre une bonne douche dans l’espoir de me détendre. Puis je glissais un CD dans le lecteur, et lançait « Only one » pour accompagner ma mélancolie. Il était déjà tard lorsque je reçus enfin une réponse de Laurent :

« Je serai là demain. Bye. Laurent.»

Ce n’était pas vraiment la réponse que j’attendais, mais au moins il m’avait répondu. Il était donc vivant et à priori en bonne santé, ce qui me rassura quelque peu, suffisamment pour que je puisse me résoudre à dormir.

 

Le lendemain matin, Lamya m’attendait au pied de l’immeuble. Et c’est avec un grand sourire sincère que je la saluais. Elle ne fût pas moins ravie de me le rendre, sans manquer d’ajouter :

- Tu as l’air de meilleure humeur ce matin !

- Mmm… Que veux-tu que je réponde à ça ?

- Rien ! Contentes-toi de conserver ce sourire radieux toute la journée, et ce sera parfait.

 

Nous fîmes le chemin jusqu’au lycée en discutant de choses et d’autres sur un ton léger, la tension de la veille presque évaporée. A notre arrivée, je constatais avec ravissement que Laurent était déjà là.

Il était appuyé sur le petit muret où je l’avais vu pour la première fois. J’ajustais mes lunettes pour profiter pleinement de la beauté de cette vision. Il était là, installé dans une position qui traduisait un certain renfermement, une dureté que je ne lui connaissais pas malgré sa froideur habituelle. Même son regard donnait plus envi de fuir que de l’approcher. Pourtant, il émanait toujours de lui ce charme ravageur, cette présence qui s’imposait devant toute autre. Il était… différent, c’était cela qui m’avait poussé vers lui la première fois. Aujourd’hui j’en étais certaine, cette singularité m’avait attirée tel un aimant. Il était pour moi comme un joyau, une pierre précieuse que personne n’avait encore découverte, ni même façonnée pour la simple et bonne raison qu’il semblait impossible de l’entreprendre.

 

Nous nous approchâmes de lui pour le saluer. J’ouvris la bouche, mais aucun son ne réussit à sortir. En revanche, Lamya n’avait aucun problème pour s’exprimer :

- Ça fait plaisir de te revoir Laurent !

- Mmm. Fût la seule réponse qu’il daigna lui donner, sans même avoir la politesse d’ôter le casque du lecteur MP3 qu’il avait sur les oreilles.

Lamya me regarda tout d’abord pour observer ma réaction, qui traduisait la même consternation qu’elle, puis elle se tourna de nouveau vers Laurent :

- Je ne te demande pas si ça va.

Et sans attendre de réponse, elle m’entraîna avec elle en ajoutant :

- Bon, on y va !

 

Nous nous rendîmes tous les trois en cours, le pas lourd. J’avais beau essayer de garder le sourire que j’avais promis à Lamya, il m’était difficile de résister à la froideur que dégageait Laurent. Son souffle glacé irradiait l’espace qui l’entourait. Il passa la matinée assis à côté de moi et pourtant j’avais le sentiment qu’il était toujours absent, que cette chaise à ma gauche était restée vide. J’attendais un moment opportun pour m’adresser à lui, mais ce moment tardait à venir. Mon impatience aidant, je pris les choses en main :

- Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi…Laurent ? Furent les seuls mots réconfortants que je trouvais à lui dire.

- Non… mais merci. Me répondit-il sur un ton à peine audible et sans jamais lever les yeux vers moi.

Il ne prononça plus un mot de toute la matinée et dés que la cloche sonna, il quitta la salle. Je l’observais tandis qu’il quittait l’établissement sans même un regard en arrière.

 

J’avais eu l’impression de faire partie de sa vie l’espace d’un week-end, mais combien cela me paraissait loin désormais. Cela avait-il seulement existé ou bien était-ce apparut des méandres de mon imagination. Les sentiments étaient capables de troubler la perception des choses, il était donc possible que l’abandon que j’avais cru percevoir chez Laurent n’était que chimère.

Même si je m’étais bercée d’illusions jusqu’alors, je n’abandonnerais pas. Il faisait parti de ma vie et je refusais qu’il en soit autrement. Le doute m’envahit. Il était parti seul, dans un état second qui ne laissait rien présager de bon. J’espérais qu’il ne serait pas capable de commettre une erreur fatale, mais je ne le connaissais pas suffisamment pour en être certaine. Il fallait que je m’en assure. Un texto ne suffirait pas, je devais entendre le son de sa voix, alors je décidais de l’appeler. La sonnerie retentis une, puis deux, puis trois, puis quatre fois, et enfin il décrocha :

- Oui, qu’est-ce que tu veux Emma? Me demanda-t-il d’une voix calme mais non moins dure.

Le ton sur lequel il avait prononcé mon nom me fît frissonner et il me fallut quelques secondes avant de lui répondre en bafouillant:

- Euuu, je…je ne vais pas te déranger longtemps. Tu vas surement trouver ça ridicule, mais je voulais juste m’assurer que tu n’allais pas faire de bêtises !

- Non, ne t’inquiète pas.

- Tu me le promets ?

- Oui, si ça peut te rassurer. Me répondit-il d’un ton un peu plus léger.

- Une dernière chose et je te laisse tranquille. Si tu as besoin de parler, ou de compagnie, saches que je suis là.

- Merci… Emma.

Il prononça ces derniers mots sur un ton beaucoup plus doux qu’il ne s’était exprimé jusqu’alors, bien que cela semble lui coûter bien des efforts. Puis sans plus de cérémonie, il raccrocha.

Lamya avait assistée à la scène sans dire un mot. A peine avais-je raccroché que mon regard rencontra le sien, et je sus alors qu’aucun doute ne pouvait subsister, elle avait percé la nature de mes sentiments pour Laurent. Comment pouvait-il en être autrement, elle lisait en moi comme dans un livre ouvert. La sincérité était le seul langage qu’elle m’inspirait, et elle-même s’exprimait toujours ainsi.

J’anticipais sa réaction en lui déclarant :

- Je sais ce que tu vas dire, mais je préférerais que nous en parlions ce soir, en privé, si tu veux bien.

- Je comprends, mais me permettrais-tu une question, pour que je patiente jusqu’à ce soir ?

- Essaye toujours ! Lui répondis-je un peu inquiète.

- Tu ne serais pas amoureuse… par hasard ?

Je baissais les yeux en guise de réponse, et je sentis mes joues s’emplir de chaleur. Lamya ajouta alors :

- Je vois ! Nous continuerons donc cette conversation ce soir, mais il faudra tout me raconter !

- OK ! Acquiesçais-je.

 

Le reste de l’après-midi, je tentais de me concentrer sur l’ensemble des cours. Lamya était habitée d’une certaine excitation, qu’elle avait peine à dissimuler et à contenir.

Quand à moi, j’étais partagée. Laurent était parti et je me demandais à chaque instant où il pouvait être et à quoi il passait son temps. Une autre partie de moi-même appréhendait la soirée qui s’annonçait. Lamya avait placé des mots sur mes sentiments, ces mots qui pouvaient sembler bien trop riches de sens en raison des incertitudes qui planaient en moi. Ce jeune homme, je le connaissais à peine, et pourtant…

 

Il était environs dix huit heure et la température commençait à se rafraîchir. Les cours étaient terminés et nous cheminions Lamya et moi vers un petit restaurant de sushis situé non loin de mon immeuble. Mon estomac était noué et je savais qu’il me serait difficile de manger. Les sushis auraient au moins le mérite de me nourrir sainement. Je sentais que Lamya brûlait d’envie de me couvrir de questions mais je l’en dissuada, lui expliquant simplement :

- Je vois bien qu’il est difficile pour toi de te retenir, mais s’il te plait, sois encore un peu patiente. Dés que nous serons chez moi je répondrai à toutes tes questions, mais en attendant je ne tiens pas à ce que notre conversation soit entendue par qui que ce soit d’autre. C’est bien trop important pour moi. Tu comprends ?

- Bien sûr, mais dans ce cas on va se dépêcher de rentrer ! Me dit-elle, son sourire s’étendant jusqu’aux oreilles.

Elle se saisi prestement de la commande, puis m’entraina dehors. Là elle se dirigea d’un pas leste vers mon appartement, sans même prendre garde qu’il m’était difficile de la suivre. Faisant bien une tête de plus que moi, Lamya pouvait marcher à une vitesse bien trop rapide pour mes petites jambes. Il me fallait presque courir pour me calquer à son rythme. Ainsi, je ne fus pas mécontente lorsque nous arrivâmes devant la porte de chez moi. J’étais véritablement essoufflée et il me fallut quelques instants pour recouvrer une respiration plus apaisée.

 

A peine avions nous franchi la porte que Lamya déposa les paquets sur la table, puis se tournant vers moi lâcha un flot continu de questions :

- Alors ! Qu’est-ce qui se passe entre Laurent et toi ? Il est au courant de tes sentiments ? Qu’est-ce qui s’est passé ce week-end que tu ne m’as pas dit ? Dis-moi tout…

- Eh, du calme ! Lui lançais-je. Prends le temps de respirer, et assieds-toi.

Je lui indiquais mon petit lit une place situé contre le mur, qui servait également de banquette à l’occasion. Nous nous installâmes toutes deux sur ce divan improvisé et Lamya enchaîna :

- C’est bon ! Tu vas me répondre maintenant ?

- Oui. Lui lançais-je en soupirant. Par où veux-tu que je commence ?

- Et bien si tu me disais ce que j’ai raté ce week-end.

- Je préfère te prévenir, je ne te dirai pas tout.

Consternée par ma réplique elle rétorqua :

- Pourquoi ça ?

- Je commence à peine à connaitre Laurent et il vient seulement de me montrer quelques signes de confiance. Il serait bien mal venu de ma part de trahir cette confiance. J’imagine que tu en ferais autant et que tu comprendras ma réaction.

- Mmoui. Me répondit-elle un peu renfrognée.

Je l’observais, amusée de cette réaction puis je commençais mon récit :

- Vendredi soir, après les cours, nous avions décidé de nous voir le lendemain pour faire ensemble le DM de maths. Samedi nous avons d’abord mangé. C’est d’ailleurs un excellent cuisinier. Ensuite nous avons travaillé un peu, bien qu’il soit un élève plutôt dissipé (je repensais à ses nombreuses tentatives de dévier la conversation afin de s’accorder une pause). Et le devoir enfin terminé, nous nous sommes mis à discuter. J’étais curieuse de connaitre la relation qu’il entretenait avec Sandra. Et tout ce que je peux te dire c’est que leur couple traverse une période difficile, ce qui est compréhensible étant donné la distance qui les sépare. Mais tu me promets de garder ça pour toi !

- Bien sûr ! Je comprends. Tu ne crois pas qu’il se serait passé quelque chose entre eux qui pourrait expliquer l’état dans lequel il est depuis deux jours ?

- Si, en effet ! Surtout étant donné le coup de téléphone qu’il a reçu dimanche soir. Lorsqu’il a répondu, il a juste échangé quelques mots puis il a dit qu’il rappelait plus tard, et il s’est empressé de partir. La suite de l’histoire, tu la connais déjà.

 

Je m’interrompis quelques instants pour aller me chercher une boisson, que je proposais au passage à Lamya. Sans attendre que je revienne m’installer à ses côtés, Lamya poursuivi l’interrogatoire :

- Et toi, comment…qu’est-ce que tu ressens au juste ?

- C’est difficile à dire. Chaque fois qu’il est près de moi, mon cœur s’emballe et dés que je suis loin de lui…

Je n’arrivais pas à décrire ce que je ressentais, c’était si difficile de trouver les mots justes. Je tentais tout de même de combler la curiosité de Lamya :

- Ces sentiments sont nouveaux pour moi. Je n’ai jamais ressenti ça pour personne auparavant. C’est douloureux de le voir souffrir, et de devoir garder mes distances aussi. J’aurais envie de le prendre dans mes bras et de le réconforter. Je serais même prête à le conseiller pour qu’il règle ses problèmes conjugaux et qu’il soit de nouveau heureux avec Sandra… Même si cela doit m’attribuer le rôle de simple amie, je veux bien m’en contenter s’il retrouve le bonheur.

A ces derniers mots, je baissais les yeux alors que Lamya me lançait :

- En fait tu es folle… folle de lui !... Je crois que tu l’aimes vraiment, et crois-moi ces choses là n’arrivent pas tous les jours. En tout cas, elles sont suffisamment rares pour que tu t’accroches. C’est noble de ta part de vouloir son bonheur au détriment du tien, mais je ne suis pas sure que tu y survivrais bien longtemps. J’espère vraiment qu’il se rendra compte à quel point tu tiens à lui et qu’il laissera tomber cette Sandra. Me dit-elle sur un ton théâtral.

- Si nous allions manger, avant que tu ne me sortes d’autres bêtises ? Lui lançais-je.

- Tu as raison, je commence à avoir faim.

 

L’appétit m’était un peu revenu et je pris plus de plaisir à manger que ce à quoi je m’attendais. Et tandis que je me délectais des saveurs subtiles du poisson cru, Lamya continua à me faire la conversation :

- Si tu le souhaites, je peux t’en apprendre d’avantage sur Laurent ?

- Bien sûr ! Mais je croyais que tu ne le connaissais que depuis la rentrée. Enfin, à part cette rencontre lors des portes ouvertes bien sûr.

- C’est vrai, mais j’ai eu un peu de temps pour le cuisiner, avant que nous nous retrouvions tous les trois. Alors si ça t’intéresse ?

- Quelle question ? Lui répondis-je impatiente d’en apprendre d’avantage.

- Et bien d’abord, je peux te dire qu’il a grandit dans une famille nombreuse, avec cinq frères. Il a perdu son père alors qu’il avait seulement douze ans. Ça a été une épreuve vraiment très difficile pour lui je crois. Mais il s’exprime très peu sur sa famille.

- Oui, j’avais remarqué. Dimanche, il avait commencé à me parler de sa famille et il a brusquement changé de sujet. C’était vraiment frustrant.

- Je veux bien le croire… Au fait, tu sais qu’il fait du basket ?

- Non ! Mais j’aurais dû me douter que pour obtenir un corps comme le sien, il fallait un minimum de pratique sportive. Et tu sais quels soirs il s’entraîne ?

- Le mardi et le jeudi soir.

- Je saurais au moins qu’il est inutile de l’inviter ces soirs là… Ah ! L’heure du coucher de soleil a sonné ! M’interrompis-je.

 

Le soleil avait entamé sa descente, laissant derrière lui une trainée de nuages empourprés. Je profitais pleinement de cet instant de calme. La journée avait été mouvementée, et épuisante moralement. Le silence régnait dans mon esprit, comme un souffle salvateur qui balayait la dureté des jours passés.

Lamya avait le regard figé sur l’astre déclinant. En l’observant ainsi, je pris soudain conscience de la chance qui m’était offerte. Dans le même temps, j’avais fait la connaissance d’une amie précieuse et de mon premier amour. Sans que je m’en aperçoive, les contours de mon existence avaient pris une tournure nouvelle.

- Le destin est étrange ! Pensais-je à voie haute.

- Pourquoi tu dis ça ? M’interrogea-t-elle.

- J’ai le sentiment de vivre une renaissance. C’est comme si lors de cette rentrée, je m’étais éveillée à mon « moi intérieur ».

- Eh bien en voila une pensée profonde ! C’est le coucher de soleil qui te donne ce genre de réflexions ou bien tu caches des substances illicites sous ton matelas !

- Non, rien de tel. Je n’ai pas besoin de ça pour avoir l’esprit tortueux.

- C’est vrai que tu n’es pas très « normale » comme fille ! Me dit-elle avec une note d’humour. Au fait, je t’ai ramené le bouquin que tu m’as prêté. Je dois t’avouer que le titre « De sang et d’encre » m’avait …surprise. Mais je n’ai pas été déçue, même si ce n’est pas le genre de livre vers lequel je me serais dirigée de moi-même. Il m’a un peu empêché de dormir, mais se faire peur ça n’est pas désagréable de temps en temps.

- Je suis contente qu’il t’ait plu, même si l’entrée en matière est un peu… brutal, bienvenue dans mon univers ! Je suis en quête permanente autour de ce monde parallèle, et j’espère ne pas te choquer en te disant que pour moi ce monde ne fait pas seulement parti du mythe, mais qu’il a été créé sur des bases réelles.

- Donc, si je te suis, tu crois aux vampires ? Me dit-elle dubitative.

- Je n’ai trouvé aucune preuve concrète pour le moment, je ne me permettrais donc pas d’affirmer quoi que ce soit. Simplement, disons que mes penchants personnels ajoutés à ma curiosité, m’ont conduite sur cette voix.

- A dire vrai, ça ne m’étonne pas plus que ça. Je pense que tu aimes trouver des réponses à tes interrogations les plus profondes. Et le thème du vampirisme est liée à la fois au sens de l’existence, à la mort, et à ce qui pourrait y avoir ensuite.

 

Lamya avait réussit à cerner le cœur du problème, sans que je ne lui en souffle mot. Il était évident que les sujets qu’elle avait énoncés me préoccupaient, comme de nombreux êtres humains, mais de manière différente peut-être. La vie, la mort, et l’après-mort, je les envisageais non pas de manière personnelle, mais plutôt comme le tout qui reliait chacune des choses entre elles.

L’existence d’un simple individu tournait autour de ses paliers du temps, mais le vampirisme permettait d’ajouter un élément nouveau qui libérait l’esprit de ses contraintes afin de voir plus loin. Ne plus avoir de limite à l’existence que celle que l’on se fixe ne détériorait en rien la valeur de la vie à mes yeux, cela libérait simplement mon esprit vers un avenir plus vaste. Me tourner vers un futur dans lequel le temps ne connaitrait pas de limites et me permettrait de m’enrichir l’esprit sans commune mesure, et peut-être, pourquoi pas, d’influencer le monde qui m’entour de manière positive.

L’ensemble de mes aspirations ne pouvait se résumer à de simples mots. Aussi sombre était l’image projetée du vampire, elle m’inspirait pourtant une lueur d’espoir pleine de réconfort, l’image d’une sagesse partagée. Ma mère avait été horrifiée lorsqu’elle avait découvert cette passion naissante, et malgré tous ses efforts n’avait finalement jamais réussit à dissuader mon esprit fertile d’oublier cet univers.

Ma nouvelle amie, quand à elle, avait été séduite par ma passion et souhaitait en apprendre d’avantage. Je commençais par lui prêter quelques ouvrages pour qu’elle puisse parfaire ses connaissances, mais aussi se divertir.

 

Le lendemain, le réveil fût douloureux. Nous avions discuté jusqu’à une heure avancée de la nuit. Lamya m’avait même proposé de rester au lit quelques heures de plus. Je lui ai répondu qu’il paraîtrait probablement suspect que nous soyons absentes toutes les deux en même temps. Il existait bien sûr une autre raison pour laquelle j’avais hâte de retourner en cours. J’espérais de tout cœur retrouver Laurent à mes côtés ce matin, et dans une humeur plus avenante que la veille.

Je pressais donc Lamya de prendre une bonne douche, froide si nécessaire. Puis une fois parée, je la poussais vers la sortie et il en fût ainsi jusqu’au lycée. Elle avait adopté le rythme de l’escargot, mais j’avais assez d’énergie pour nous deux. L’énergie que j’avais déployée nous avait mené à bon port, mais avec quinze minutes d’avance. Lamya ne manqua pas de me faire remarquer que c’était du temps perdu et qu’elle serait bien restée au chaud sous la couette.

 

Les minutes défilaient lentement, comme chaque fois que j’attendais l’arrivée de Laurent. Les étudiants de notre classe se regroupaient peu à peu devant l’entrée. Damien passa devant moi en me regardant, l’air à la fois concentré et tendu, et je ne pus m’empêcher de remarquer qu’il manqua de trébucher. Lamya étouffa un rire alors que je lui lançais un regard plein de doux reproches. Je ne pouvais que trop bien comprendre l’état second dans lequel on se trouvait précipité en présence d’une personne pour laquelle on ressent de l’affection. Il m’était donc aisé de compatir à la maladresse de Damien.

La totalité des étudiants étaient alors réunis. Il n’en manquait plus qu’un, le seul capable de dicter le rythme des battements de mon cœur. Cherchait-il seulement à se faire désirer, ou bien serait-il encore absent ? Je souhaitais au fond de moi-même qu’il s’agisse de la première option, mais le glas de la sonnerie retenti. Je jetais un dernier coup d’œil vers l’entrée du bâtiment avant de pénétrer bonne dernière dans la salle de classe. La journée s’écoula sans aucune nouvelle de lui. J’étais inquiète mais il lui fallait peut être du temps, et je lui avais déjà proposé mon soutien.

 

De retour chez moi, je ruminais mon angoisse. Lamya s’était proposée de passer une nouvelle soirée à me tenir compagnie, mais je l’avais éconduite tout en la remerciant. Elle était épuisée et avait un besoin urgent de dormir. Je passais donc la soirée seule en tête à tête avec mes cours, que j’avais négligés quelque peu ces derniers temps. Après quelques heures de dur labeur, je me couchais avec un bon roman en guise de somnifère.

 

Le jour suivant, nous étions jeudi et le week-end approchait à grands pas. Laurent était toujours absent, et l’angoisse devint alors frayeur. Nous serions séparés pour plusieurs jours s’il ne revenait pas vendredi, et rien ne le laissait présager. Je n’avais pas de nouvelles de lui depuis plusieurs jours et je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où il se trouvait ou de ce qu’il faisait. La dernière fois que nous avions parlé, il m’avait parut désemparé, perdu dans ses pensées, et très distant avec les gens qui l’entouraient.

Je décidais de lui téléphoner à la pause déjeuné, mais il ne répondit pas. La peur grandissait en moi au fur et à mesure que se prolongeait la journée. Je craignais de n’avoir pas réagit suffisamment tôt. Il fallait que je le rejoigne le soir même chez lui, s’il s’y trouvait encore.

Lamya avait tentée de m’en dissuader, mais n’écoutant que mon cœur, à la fin des cours je quittais l’établissement de manière précipitée. Le trajet jusqu’à son appartement me parut durer une éternité, bien qu’il me fallut deux fois moins de temps qu’à l’ordinaire pour m’y rendre. Au bout de quelques minutes seulement, je me trouvais devant sa porte, haletante. Je me décidais à presser le bouton de la sonnette. Le temps s’écoula. Je pressais de nouveau la sonnette en insistant un peu, lorsque la porte s’entrouvrit. Laurent était bien là, mais il n’était plus tout à fait lui-même. Il semblait rongé par la fatigue et rien ne laissait transparaître les sentiments qui habitaient son esprit. Seul un peu de colère animait ses traits, colère dont je supposais être la cause. Il me regarda avec un regard sévère puis me lança :

- Qu’est-ce que tu me veux ?

- Je…Je voulais…juste savoir si tu allais bien. Bégayais-je.

- Eh bien te voilà rassurée, je suis vivant ! Autre chose ? Me lança-t-il sur un ton de défit.

- Euh, non. Juste… si tu as besoin de parler…

Mais il m’interrompit avant que je ne termine.

- Non, ça ira. Merci. Au revoir.

Puis il referma la porte sans que je ne puisse ajouter un mot. La peur avait fait place à une grande frustration doublée d’un sentiment de colère. Je descendais les escaliers quatre à quatre en espérant me défouler un peu, mais ça n'eut pas l’effet escompté.

 

A peine avais-je passé le porche de l’immeuble qu’il se mit à pleuvoir, comme si le temps avait décidé d’accompagner ma douleur. La promenade sous la pluie m’inspira et je décidais de me laisser guider par le hasard, au gré de mes pas. Ils me conduisirent jusque dans un petit parc où je m’installais dans un coin ombragé, bien que le soleil ne risque pas de brûler ma peau de nacre étant donné la teneur des nuages. Je pris place sur un banc où je méditais plusieurs heures durant, en écoutant la musique salvatrice de la nature environnante. Le bruissement du vent dans la végétation et l’écoulement des gouttes d’eau tombant en cascade sur les feuilles apaisèrent ma colère. Comme j’aimais lever la tête pour regarder tomber la pluie en masses irrégulières, les gouttes naissant de cet amas nuageux, et formant des volutes qui jouent avec le vent.

J’ignorais combien de temps j’étais restée ainsi à réfléchir, mais mes vêtements étaient trempés et de bruyants éternuements me ramenèrent à la raison. Il était temps de rentrer et de me mettre au sec.

 

De retour chez moi, je passais une tenue sèche, enveloppais mes cheveux dans une serviette, puis je téléphonais à ma mère pour planifier mon retour le lendemain. L’idée de passer deux jours pendant lesquels il faudrait que je revêtisse le costume de la jeune fille parfaite ne m’enchantait guère, mais ma mère me manquait, je devais bien l’avouer. Se défaire brusquement de dix huit années de vie parfaitement orchestrées, ne se ferait pas sans une période de sevrage. De plus, c’était toujours mieux que de passer deux jours seule, à tourner en rond comme un lion en cage.

Ayant déjà fait la totalité de mes devoirs la veille et ne réussissant pas à me concentrer suffisamment pour me plonger dans un roman, je décidais d’envelopper mon humeur des vibrations salvatrices de Tchaïkovski. Ce fût là ma principale occupation de la soirée, jusqu’à ce que je sombre finalement dans un profond sommeil.

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ISBN : 9782332658111

Amandine Salique
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