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Amandine Salique
2 novembre 2013

Chapitre 1 - Première rencontre

La rentrée approchait à grands pas et les feuilles des arbres commençaient à prendre des teintes dorées, tissant de somptueux tapis qui recouvraient d’un peu de magie la tristesse du bitume. Le paysage défilait sous mon regard songeur, alors que ma mère Anne-Marie me conduisait vers ma nouvelle vie au volant de sa Porsche Cayman. Mon diplôme du bac en poche, je m’expatriais loin de ma campagne natale pour poursuivre mes études. Quitter le cocon familial pour prendre enfin mon envol était une expérience inédite et excitante. Mais c’était sans compter sur l’inébranlable volonté de ma mère de me garder les pieds sur terre. Elle n’eut de cesse de me rappeler tout le long du trajet qu’il ne fallait pas que j’en profite pour commettre des erreurs que je regretterais toute ma vie, et que je ne devais surtout pas inviter n’importe qui chez moi. Dernier conseil qu’elle savait inutile car elle était consciente que ce serait le premier que je m’empresserai de transgresser.

 

Lorsque nous arrivâmes à Lyon, le jour commençait à faiblir. Mes parents m’avaient trouvé un appartement pour m’éviter les trajets quotidiens jusqu’à Valence. J’avais dû me résoudre à les laisser se débrouiller seuls pour cette recherche alors que je passais l’été en stage de perfectionnement d’anglais à Londres.

L’appartement se trouvait dans un lotissement un peu ancien. Les murs des bâtiments étaient lézardés et tous dans des nuances de gris plus ou moins sombres, qui devaient être dans des teintes bien moins monotones à l’origine. Mais le petit carré de verdure sur lequel il donnait ne manquait pas de charme avec ses bosquets de plantes foisonnantes et désordonnées. C’est au septième étage que se trouvait mon nouveau «chez moi». A première vue il était minuscule. Pourtant, il me parut étrangement plus grand que l’immense chambre dans laquelle j’avais trouvé refuge pendant toute mon enfance. La liberté pouvait repousser les limites de la perception et je commençais seulement à y goûter. Pour ne rien gâcher, lorsque je m’approchais du balcon, j'eus un aperçu du superbe spectacle auquel il me serait donné d’assister tous les soirs. Nul mot n’était à la hauteur pour décrire la magnificence du tableau exposé devant moi : un somptueux coucher de soleil tout en nuances de pourpre et d’or, passant par toute la palette que pouvait donner l’union de ses deux teintes. Les nuages qui se dispersaient sur la ligne d’horizon donnaient d’avantage de relief et de consistance encore. Il ne m’en fallait pas d’avantage pour être séduite, et ma mère l’avait compris. Elle me gratifia d’un baiser sur le front, puis s’éclipsa en s’assurant de faire autant de bruit que possible pour que je prête d’avantage attention à son départ, en vain.

Depuis mon retour de Londres, nos relations avaient changées. Ce mois passé loin du carcan de ma famille, m’avait permis de découvrir à quel point mon sentiment d’étouffement était justifié. J’avais alors découvert les plaisirs liés à la complexité de faire des choix. Décider de ce que je devais porter ou manger ou faire était des choses auxquelles je n’étais pas habituée. Même les rares fois où il m’était accordé de sortir avec des amis (choisis par leurs soins bien entendu), je n’étais jamais seule. Il fallait toujours que je sois encadrée par quelques chaperons déguisés sous le costume de gardes du corps. Il avait d’ailleurs fallut que je fasse force de persuasion pour les convaincre de ne pas m’obliger à subir le même traitement ici. L’épisode de Londres avait d’ailleurs beaucoup participé à leur acceptation, même s’ils n’avaient pas manqué de m’envoyer séjourner dans une famille qu’ils connaissaient fort bien et qui s’était efforcée de tenir le même rôle.

Le tableau vivant qui se tenait dans l’encadrement de la fenêtre laissa bientôt place à un superbe ciel sombre constellé d’étoiles que je quittais des yeux seulement le temps de mettre une tenue plus confortable pour dormir. Sans même prendre le temps de ranger mes affaires, je profitais du spectacle jusqu’à ce que le ciel soit constellé de myriades de points lumineux et que les yeux me piquent à force de les contempler, avant de prendre place dans mon lit et partir enfin pour le pays des songes.

 

Le lendemain matin, comme à mon habitude, je coupais le réveil et me rendormis pour une seconde phase de réveil, un peu tardive. Je mis mes lunettes pour m’aider à quitter l’épisode nébuleux du réveil, me douchais rapidement avant de sauter dans mes vêtements sans même prendre le temps de les assortir, puis engouffrais une brioche tout en lassant mes converses (autre souvenir londonien). Cela terminé, je dévalais les sept étages, mon sac de cours d’un côté et une veste de l’autre. Ravie de constater que les habitudes que j’avais développées à Londres ne m’avaient pas quitté, je me rendis donc au lycée égayée par les souvenirs heureux que m’inspiraient cette pensée.

La vue du bâtiment austère dans lequel je devrais passer les quatre prochaines années me ramenèrent les pieds sur terre avant de les souder au sol à l’aide de quelques kilos de béton armé. L’établissement avait plus d’un siècle et les rénovations qu’il avait subit au fil du temps n’avaient en rien entaché sa prestance. La structure avait été conçue avec l’intelligence de l’époque et le résultat était simplement magnifique. Mais la vision déformée de mon passé le faisait paraître tel une belle prison de verre, identique à toutes celles que j’avais déjà connues, une cellule que je devrai partager avec les mêmes individus dont le trajet était tracé par des pointillés qui laissaient entrevoir la fin avant même d’avoir entamé le chemin. L’argent, le pouvoir et cette quête désespérée de toujours posséder d’avantage alors que l’essentiel était bien loin de ses préoccupations futiles.

Alors que j’étais restée plantée devant l’entrée sans pouvoir me décider à franchir le seuil de la grille, me rattachant désespérément au vent de liberté qui soufflait dans la direction opposée, une fille me poussa à l’intérieur avec brusquerie. Elle continua son chemin sans une parole d’excuses, ni même un regard en arrière. Je sus alors que j’étais entrée dans l’arène et qu’il me faudrait sortir de mes bagages la tenue de combat que m’avaient façonnée mes parents pendant toutes ses années. Je n’étais pas taillée pour la joute et à cela s’ajoutait mon manque cruel de volonté. Se battre, mais dans quel but ? Atteindre des illusions créées par des gens payés pour penser à notre place et nous défier de devenir ses chimères façonnées par une perception dénaturée, vidée de l’essence humaine. Mais pourquoi ?

Mes pieds me semblaient plus lourds encore tendis que j’entrais dans le cœur même de la structure, traversant seule la cour, sous le regard inquisiteur des étudiants dont l’assurance laissait deviner  qu’ils se savaient déjà les maîtres des lieux. Continuant ma route en tachant de faire bonne figure, je tentais de rejoindre un petit groupe d’élèves qui était agglutiné devant les panneaux d’affichage sur lesquels se trouvait la répartition par classe des nouveaux étudiants. Ayant obtenu le numéro de ma salle en jouant quelque peu des coudes, je traversais l’établissement pour découvrir mes futurs camarades de classe, non sans une certaine appréhension.

 

Il semblait bien que je sois la dernière arrivée. La plupart d’entre eux formait déjà de petits groupes. Seul un jeune homme, visiblement un métis, était isolé des autres, calé contre un mur en retrait. Vêtu d’un jean baggy, d’un tee-shirt blanc à col en V et d’une veste noir mi-longue, il dépareillait du look « chic et cher » environnant. Malgré cela, je ne pouvais nier l’évidence qui s’imposait à moi. Il n’en était pas moins le plus beau jeune homme qu’il m’ait été donné de rencontrer jusqu’alors. Loin de la caricature des magazines, il émanait pourtant de lui un charme auquel il était impossible de résister.

D’un pas hésitant, cependant guidé par un désir incontrôlable, je me dirigeais vers lui dans l’espoir de découvrir ce qui se cachait derrière cette différence affichée et cette froideur qui diminuait d’une dizaine de degrés la température ambiante. Mais c’était sans compter sur l’intrusion d’une retardataire qui s’approcha de lui à grandes enjambées. Une jolie brune aux yeux noisettes avec une silhouette élancée et élégante, qui ne manquait pas d’assurance. Elle me coupa ainsi dans mon élan, et ma seule solution pour éviter le ridicule fut alors de me poser de la manière la plus naturelle possible sur le petit muret situé un peu plus loin. Je ravalais mon mécontentement tout en jetant un coup d’œil discret sur mon bel Apollon. Il semblait en grande conversation avec sa nouvelle amie, et n’avait même pas remarqué mon passage. Tandis que la gazelle s’exprimait dans un déploiement de gestes aériens pour accompagner ses paroles, lui restait de marbre et ne marquait son écoute que par quelques variations de traits subtiles, à peine perceptibles. Le contraste entre ses deux personnes était véritablement étonnant. Une énergie étonnante débordait de la brunette comme une fontaine trop pleine, alors que le garçon faisait preuve d’une telle retenue qu’il en devenait indéchiffrable. Mais un enseignant fit son apparition, m’obligeant à quitter des yeux ce mystérieux personnage. Il nous convia à le suivre avant de nous ouvrir la route.

J’étais l’une des dernières à rentrer dans la salle et me retrouvais au premier rang, à mon grand malheur. S’ensuivit l’éternelle présentation, où chacun d’entre nous devait exposer brièvement son parcours et ses loisirs. C’est ainsi que je découvris que le beau jeune homme se prénommait Laurent et sa voisine Lamya. Lorsque Laurent ouvrit la bouche pour lâcher quelques mots du bout des lèvres, sa voix de basse vibrait d’une telle intensité qu’il me fût difficile de retenir les frémissements qu’il déclencha. D’autres têtes jusqu’alors occupées se tournèrent également dans sa direction. Mais à peine avait-il commencé à se présenter qu’il s’interrompit avant de s’assoir les bras croisés et le regard sombre, comme pour défier quiconque d'en demander d’avantage. Le professeur lui-même parut décontenancé devant un tel comportement. Il bégaya quelques mots avant de continuer le tour de classe, puis il enchaîna sur la liste de paperasse à nous faire lire, avant de commencer enfin son cours.

 

Les heures défilaient sans que je n’ose m’approcher d’eux. Cantonnée au premier rang, je fis la rencontre de deux autres filles : Sophie et Adeline, au premier abord sympathiques bien que superficielles. Elles avaient passé tout le temps de la pause à saluer puis détailler chaque étudiant qu’elles croisaient, sans oublier quelques remarques acerbes dès que ce dernier avait tourné les talons. Elles se fondaient parfaitement dans le décor avec leurs lunettes et nombreux accessoires affichant des marques de luxe et autres détails plus ostentatoires encore.

En désespoir de cause, je terminais la journée en leur compagnie et rentrais chez moi seule, encore possédée par l’étrange sensation qui était née de ce timbre de voix qui m’avait parcouru l’espace de quelques secondes seulement. N’ayant pas le cœur à cuisiner, je me contentais d’une boîte de raviolis réchauffés agrémentés de fromage fondu. Les yeux perdus dans mon assiette, je ressassais le meilleur moment de ma journée : sa furtive apparition. Bien que le temps m’ait manqué pour faire sa connaissance, mes souvenirs le concernant étaient étrangement clairs. Malgré l’apparente hostilité qui se dégageait de lui, ses yeux tenaient un tout autre discourt. Ils étaient plus froids et durs qu’une pierre tombale, pourtant il m’avait semblé y entrevoir une lueur étrange sans pouvoir réellement l’identifier.

Cette dernière pensée me troubla au point de s’insinuer en moi comme une douleur insolite, une douleur dont la cause m’était étrangère. Son image envahissait mon esprit en des flashs répétés, son regard plus profond que le gouffre de mes craintes, plus intense, presque pesant. Ma tête était perdue alors que mon corps cherchait un semblant d’espoir sur des choses palpables, se laissait posséder peu à peu par cette douleur exquise. C’était une expérience totalement inédite pour moi. Ma raison toujours là pour me dicter la conduite à suivre préférait se terrer dans le silence. Ce bel inconnu était responsable de cet état de fait et il me faudrait trouver une solution à cela, sous peine de perdre le contrôle de moi-même à chacune de nos rencontres.

Mais en attendant, il me fallait me détacher de lui pour réussir à trouver le sommeil. Le meilleur moyen d’y parvenir était de me vider la tête en me plongeant dans l’un des nombreux livres qui composaient ma collection, ma plus grande richesse. Je choisis sans la moindre hésitation « Entretien avec un vampire », roman que j’avais dévoré une bonne vingtaine de fois déjà et qui me plongerait indubitablement dans cet univers sombre, fantastique et riche en émotions que j’affectionnais tant. Chaque personnage devait composer avec ses conflits intimes, vivre avec les autres, avec soi-même, donner un sens à sa vie. Chaque relecture faisait naître de nouvelles interrogations dans les méandres de mon cerveau dérangé, me transportant indubitablement bien au-delà de la fiction contée par l’intriguant Louis.

 

Au lendemain d’une nuit difficile, je décidais de mettre toutes les chances de mon côté pour créer une rencontre idéale. Pour cela, il me fallait commencer par une phase d’observation afin de ne pas commettre d’erreur irréparable. Je passais donc la matinée à l’épier discrètement, en compagnie de Sophie et Adeline pour ne pas paraître asociale. Finalement, les grands principes de conquête qu’avait tentée de m’enseigner Anne-Marie me seraient peut-être utiles.

Il semblait se créer une certaine complicité entre Lamya et lui, et il devenait pressant de provoquer notre rencontre. Quand aux tentatives des autres membres de la classe de se rapprocher de leur duo, elles finissaient immanquablement en fiasco total, ce qui n’était pas pour me rassurer. Même Damien qui campait le rôle du beau gosse toujours bien entouré, se vit essuyer un revers alors qu’il proposa à Laurent de se joindre à lui lors de la prochaine fête qu’il avait organisée. Lui aussi avait sans doute décelé cette étonnante attraction qu’il pouvait exercer sur les gens et voulait probablement en tirer profit. La notoriété était la carte la plus importante dans ce genre de milieu, et Laurent était en train d’en faire les frais bien malgré lui. Plus il repoussait les tentatives maladroites déployées par les élèves dans le seul but de faire sa connaissance, plus le mystère qui l’entourait s’épaississait et devenait un défit à relever.

Finalement, le repas me sembla opportun pour interroger mes nouvelles amies à propos de l’ensemble des étudiants qui composait la classe, car elles donnaient l’impression de tout savoir sur tout le monde. Je lançais mine de rien la conversation sur le style vestimentaire des différents élèves, espérant que l’une d’entre elles viendrait à parler de Laurent. Ma manœuvre fût efficace mais je dû faire face à un imprévu. Je n’étais pas la seule à être sensible à ses charmes.

-…Laurent est vraiment mignon, me lança Adeline de sa petite voix de crécelle. Mais il a un look un peu spécial.

- Et toi… lui rétorquai-je en préparant une réponse cinglante avant de me raviser aussitôt. Tu… l’as acheté où ton tee-shirt ? Il est vraiment sympa. Toi tu as bon goût, m’efforçai-je d’ajouter dans l’espoir d’être plus crédible.

Flatter son égo était une bonne idée car elle continua sans relever :

- C’est dommage qu’il ne soit pas libre.

- Comment ça ? M’étonnais-je.

- Il est avec une fille depuis plus de deux ans. Elle s’appelle Sandra et elle est partie faire ses études près de Nice je crois. Je connais son père…

Adeline continua d’épiloguer ainsi sur la vie de Sandra pendant un long moment. Mais je n’y prêtais plus la moindre attention. J’avais cessé de suivre la conversation alors que je venais d’apprendre l’existence de cette fille. Au bout de plusieurs minute, c’est Sophie qui m’interpela :

- Ça va Emma ? Tu es toute rouge.

- Oui, m’efforçais-je de lui répondre après avoir pris une grande bouffée d’air. J’ai …juste un peu chaud.

La douleur que j’avais ressentie la veille reprenait possession de mon corps, mais plus acide et désagréable cette fois-ci. Je commençais à perdre pied et me demandais même s’il me serait possible de tenir jusqu’au soir. Il m’était interdit de manquer les cours seulement deux jours après la rentrée. Je m’efforçais donc de rejoindre ma classe pour assister à un cours d’arts plastiques.

En entrant dans la salle j'aperçus Lamya et Laurent seuls, installés sur les tables du fond. Dans un regain de lucidité, je m’empressais de rejoindre la table à côté de Lamya et de m’y installer. Étant donné mon état il serait plus facile et plus discret d’engager la conversation avec elle. Sophie et Adeline furent un peu surprises que je les abandonne, et elles ne manqueraient pas de remarques déplaisantes à mon égard, j’en étais certaine. Mais c’était une chance que je ne rencontrerais peut être plus avant longtemps, et il me fallait la saisir.

Lamya était tout sourire comme à son habitude, mais ses yeux exprimèrent toute la surprise que mon intrusion avait pu éveiller en elle. Laurent, quant à lui, il n’avait pas bougé d’un centimètre, et ne s’était sans doute même pas aperçut de ma présence. Pourtant un soupir lourd de sens s’échappa alors que j’installais mes affaires sur le pupitre. Il devait me voir comme une intruse de plus, et le courage qui m’avait guidé jusqu’à cette place était en train de fondre comme neige au soleil. Je songeais sérieusement à remballer mes affaires afin de changer de place, mais l’enseignant fit son entrée et un second soupir, plus long cette fois-ci, me parvînt de l’autre bout de la table. Je n’osais lever les yeux de crainte de croiser leur regard accusateur. Pourtant, après avoir soigneusement rangé l’ensemble de mes effets sur la table, il me sembla que le poids des regards s’était estompé même si la tension était encore palpable. En levant les yeux, je fus ravie de constater qu’ils s’étaient résolus à m’ignorer et avaient trouvé une autre occupation commune. Me faisant la plus discrète possible, j’entrepris d’observer du coin de l’œil.

Le professeur n’avait pas encore donné les consignes, mais Lamya avait commencé à esquisser de magnifiques silhouettes de femmes, travaillées au fusain. De son côté, Laurent ne manquait pas de qualités artistiques non plus. Il débutait ce qui semblait être la caricature de notre enseignant. Pour ne pas dépareiller, je me lançais dans la réalisation d’une chimère : mélange d’une femme et d’un félin. C’était certes entreprenant mais je n’étais pas débutante dans le domaine. En plus des écoles prestigieuses dans lesquelles j’avais été formée, une bonne partie de mes soirées et week-ends avaient été meublés par des cours particuliers, ce qui me valait une certaine maîtrise dans le domaine de la technique graphique, entre autres.

Peu à peu, mes voisins délaissèrent leurs travaux pour observer l’avancée de mon propre travail. Toute en nuance de gris et de noir, ma chimère n’en était pas moins impressionnante. Le relief que j’avais réussi à imprimer au personnage donnait l’illusion qu’il sortait de la feuille. Lamya d’abord stupéfaite, reconnu mes talents artistiques. Ce à quoi je répondis avec beaucoup de modestie en lui expliquant que je dessinais depuis ma plus tendre enfance. Ma mère s’était arrangée pour que je passe une bonne partie de mes jeunes années en cours particuliers en tous genres, afin de correspondre à l’image qu’elle s’était faite de la jeune fille parfaite.

Une douce chaleur était en train de m’envahir. Malgré quelques maladresses, j’avais réussi à attirer leur attention et Lamya paraissait être une jeune fille sympathique en fin de compte. Il m’était difficile de contenir le sourire de contentement qui tentait de faire surface sur mon visage.

Laurent fixa mon dessin, sans jamais croiser mon regard, puis tourna la tête en direction du tableau, un sourire au coin des lèvres. Je me tournais vers lui dans l’espoir d’un quelconque échange, et les minutes défilèrent sans que je ne m’en aperçoive. Lamya rangea discrètement ses dessins sous sa pochette et petit à petit leurs regards se rapprochèrent de moi sans que j’en devine la raison. C’est la voix du professeur qui s’adressait alors à moi, qui me fit sortir de ma torpeur en sursautant :

- Pouvez-vous me répéter les consignes, mademoiselle… ? Comment vous appelez-vous déjà ?

- Euuuuh…Emma, monsieur… monsieur Tanner. Bégayais-je.

- Je répète donc ma question. Pouvez-vous me répéter les consignes, Emma ?

- Euuuh…

Je risquais de bafouiller ainsi pendant longtemps, mais à ma grande surprise, Laurent vint à mon secours :

- Vous nous avez demandé de dessiner un objet choisi parmi nos affaires, sous différents angles. Mais si vous regardez le dessin qu’elle a fait pendant que vous donniez les consignes, vous vous rendrez compte par vous-même que son niveau est bien supérieur à votre consigne !

Un long silence s’ensuivit, puis le professeur, un peu renfrogné, ajouta :

- Dessiner ne l’empêche pas d’écouter les consignes en même temps ! Et c’est valable pour vous aussi Laurent… Et s’empressant d’ajouter en tournant les talons : Très réussie la caricature !

Nous nous regardâmes tous les trois, tour à tour, affichant un sourire malicieux. Mon premier contact avec Lamya et Laurent était une réussite, et la douleur que j’avais éprouvée jusqu’alors s’estompait, peu à peu remplacée par une douce chaleur. Le sourire de Laurent avait un effet salvateur et je compris alors que c’était lui le seul remède à ma souffrance.

 

Les jours suivants, je m’arrangeais pour multiplier nos rencontres. Laurent restait cependant un mystère, il ne s’exprimait que très rarement et de manière assez brève, ce qui ne me facilitait pas la tâche. Le son de sa voix avait le don de m’hypnotiser et les mots qui sortaient de sa bouche perdaient alors toute substance. Le son perçait chaque pore de ma peau tandis que le sens de ses propos se perdait en chemin, sans jamais atteindre mon cerveau. Plus je m’efforçais de comprendre, plus je perdais prise sur mon propre corps.

Quant à Lamya, elle s’avérait bien plus proche que je n’aurais pu l’espérer. Ses parents étaient d’origine modeste mais avaient fait fortune dans le textile. Grisés par cette ascension sociale soudaine, ils changèrent de mode de vie, enfermant ainsi leur fille dans un bel aquarium où la religion et le statut social régnaient en maître. Nous avions certains points communs, bien qu’un oiseau et un poisson n’évoluent pas dans le même milieu. Les murs de ma propre prison m’offraient une liberté qui m’était restée imperceptible jusqu’alors ce qui lui donna une autre dimension, moins froide et insurmontable.

Lamya me proposa une soirée entre filles, elle semblait aussi envieuse de me connaitre que je l’étais d’elle. Nous programmions cela pour le soir suivant, ce qui me permettrait de mettre un peu d’ordre chez moi et de réfléchir au menu.

 

De retour à mon domicile, je m’empressais de vider les nombreux cartons dont j’avais tapissé le mur de mon appartement. Les premiers jours, je m’étais contentée de piocher dans les cartons ce dont j’avais eu besoin, sans prendre vraiment le temps de ranger. Ils firent bientôt place à un mur de livres qui ne comptait pas moins de quatre cent vingt romans différents. Je me débarrassais des cartons dans le conteneur à recyclage, puis nettoyais l’ensemble des lieux.

Je passais l’aspirateur lorsque le téléphone sonna. C’était ma mère, inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles depuis près de quatre jours, elle s’exprimait de manière presque hystérique d’abord, puis après quelques minutes de réprimandes elle finit par se ressaisir. Je lui parlais alors de Sophie et Adeline, qui semblaient mieux convenir au stéréotype des amis qu’elle souhaitait que je fréquente. Mais je lui parlais également de Lamya car je savais probable une future rencontre avec elle. La seule évocation de son prénom suffit à la plonger dans le silence, avant qu’elle ne fasse pleuvoir sur moi de nouvelles réprimandes. Je lui exposais donc la situation familiale de Lamya afin de lui signifier qu’elle faisait partie d’un milieu fréquentable à ses yeux. Enfin, j’écourtais la conversation pour commander le repas, des pizzas. Puis, je me préparais pour la venue de Lamya.

 

Elle arriva vers huit heures comme convenu. Je lui fis faire le tour des lieux, ce qui ne fut pas bien long, mais juste assez pour que le soleil s’évanouisse à l’horizon. Notre discussion sur nos lectures favorites fit place à un silence contemplatif qui suspendit le court du temps. C’était de ses silences pendant lesquels il n’est nul besoin de paroles pour se comprendre. Le livreur de pizza se chargea néanmoins de nous extirper de nos rêveries. Nous passâmes alors à table en reprenant notre conversation là où nous l’avions laissée. La plupart de ses lectures se portaient sur la philosophie et la psychologie. Un sujet que je maitrisais assez mal, mes références sur le sujet étant bien minces. La conversation glissa peu à peu vers le sujet de la religion et de nos croyances respectives. Lamya était d’obédience musulmane.

- Mon enfance a été bercée par les préceptes du coran, et mes parents sont des gens très pieux même s’ils sont assez modernes. Nous vivons en France depuis de nombreuses années et il a fallut s’adapter à cette nouvelle vie. Ici c’est très différent du Maroc tu sais. Me confessa-t-elle.

- Moi je suis catholique, mais je dois t’avouer que c’est plus par obligation que par choix personnel. Je ne crois pas que nous disparaissions simplement après notre mort, mais je n’ai pas envie de rattacher cette croyance à une religion en particulier. Je crois que la religion quelle qu’elle soit bride la pensée des gens en les obligeant à suivre des règles. Pourquoi les gens ne pourraient-ils pas croire sans pour autant adhérer à une religion en particulier ? Se faire ça propre religion en quelques sortes.

- Je suis d’accord avec toi, mais tu ne crois pas que les gens ont besoin de guides pour les aider à trouver leur voix ? Pour leur ouvrir des voix auxquelles ils n’auraient pas pensé ?

- Un guide peut être utile lorsqu’on le sollicite, mais son influence peut déterminer les choix des gens en allant à l’encontre de leur volonté…

 

Nous dissertions une bonne partie de la soirée sur le sujet et Lamya me donna l’impression d’y prendre autant de plaisir que moi. Nous passions un très bon moment et j’avais hâte de programmer une autre soirée pyjamas. Par chance, elle logeait à cinq minutes à pied de chez moi ce qui me permettrait de la voir chaque fois que nous en aurions envie. Elle me livra également quelques informations au sujet de Laurent. Lui aussi logeait dans le même quartier, à deux minutes à peine. Elle ne le connaissait que très peu car elle l’avait seulement croisé lors des portes ouvertes quelques mois auparavant. Ils s’étaient alors rapprochés du fait de leur solitude et de leurs origines.

Laurent avait obtenu une bourse d’étude qui lui avait permis d’accéder à cette formation. Mais il disposait d’assez peu de moyens, et pour limiter ses frais il ne rentrait chez ses parents qu’une fois par mois seulement. Lamya quand à elle, devait rentrer tous les week-ends car ses parents tenaient à s’assurer de la qualité de ses résultats. C’était donc un moment propice pour organiser un rendez-vous. Il me faudrait convaincre ma mère que ma volonté de passer une partie de mes week-ends à Lyon était uniquement liée à mon travail, mais cela semblait faisable. Je m’imaginais déjà passant deux journées entières à ses côtés, et mon subconscient me rappela alors à l’ordre en me murmurant le nom de Sandra. Ce nom résonnait dans mon esprit, comme s’il menaçait d’être la cause d’un effroyable cataclysme…

La sonnerie de mon réveil m’extirpa de mes pensées. J’avais passé une bonne partie de la nuit à réfléchir alors que Lamya s’était endormie. Le plus discrètement possible je me levais dans le but de préparer le petit déjeuner, mais elle ne mit pas longtemps à se réveiller. Cela faisait moins d’une semaine que nous nous connaissions, et je m’exprimais avec elle avec une étonnante liberté. Je la voyais un peu comme la sœur que je n’avais jamais eue. Bien que ses sentiments me paraissent prématurés, ils se manifestaient de manière naturelle.

Après un copieux petit déjeuner et de longues conversations bien que le temps nous manquait, nous nous rendions à notre dernier jour de cours de la semaine. Mon corps me signifiait l’état de fatigue dans lequel je me trouvais, mais il me faudrait néanmoins assumer la journée à venir. Je saluais Laurent et j’y pris un plaisir que j’avais du mal à dissimuler. Sa peau était douce, presque autant que celle d’un nouveau né. Lui semblait de pas être conscient des émotions qu’il provoquait en moi. Dans un sens cela m’évitait bien des justifications maladroites et improbables, mais comment aurait-il réagit s’il avait su…

 

Les premières heures de cours défilaient sans que je m’en aperçoive, alors que mon esprit flottait dans un voile nuageux dont il ne semblait pas vouloir s’extirper. M. Teyssier notre professeur de mathématiques, ne m’aidait pas vraiment à rester éveillée, il s’exprimait d’une voix au son monocorde qui avait sur moi l’effet d’une berceuse. Heureusement pour moi, c’était une matière que je maîtrisais parfaitement. Il commença par des révisions sur les fonctions du second degré :

- Nous allons tout d’abord revoir l’ensemble des formules à connaitre, puis nous les mettrons en application en faisant quelques exercices. Alors, qui peut me dire comment se définie une fonction du second degré ?

 

Un long silence planait alors dans la classe. Je connaissais la réponse et j’étais certaine que d’autres étudiants également, mais il ne fallait surtout pas passer pour « l’intello » de service au risque d’être cataloguée pour le reste de l’année. Ce genre de réputation rebutait la plupart des élèves. Quand à moi, j’assumais totalement ce que j’étais. Il m’avait été difficile d’être acceptée dans cette école et ce ne serait pas maintenant que j’avais atteint cet objectif, que je me laisserais entraîner par ce genre de préoccupations…

C’est du moins ce dont j’essayais de me convaincre, car il y avait en fait deux personnes dont l’avis m’importait. Celui de Lamya assise à ma droite et de Laurent à ma gauche. Lamya semblait hésiter à répondre, elle me regarda puis me sourit. Je compris alors qu’elle connaissait la réponse tout comme moi. Laurent semblait absorbé par un autre univers bien loin de celui des mathématiques. Il avait le regard figé en direction de sa feuille, mais n’avait pas l’air endormi pour autant, simplement absent. N’ayant pas de réponse de la part des élèves, M. Teyssier continua :

- Puis-ce que personne ne semble vouloir répondre, veuillez noter ceci : une fonction du second degré est définie par f(x)= ax² + bx +c, avec a différent de …

On n’entendait plus que le bruit des stylos qui glissaient sur le papier, et cela dura une bonne vingtaine de minutes. Puis nous enchaînions sur les exercices. Nous devions étudier une fonction, décrire si elle était croissante ou décroissante puis trouver son sommet. Je réalisais l’exercice sans trop de difficultés, ce qui n’était pas le cas de Laurent. Profitant de cette occasion, je décidais de lui proposer mon aide :

- Tu veux un coup de main Laurent ?

- Non, ça va aller… me répondit-il froidement sans même lever les yeux.

Je le regardais à la fois surprise et déçu. Ce n’était vraiment pas la réponse que j’attendais. Je restais d’abord interloquée, la bouche entrouverte, sans savoir quoi ajouter. Je sentis peu à peu la chaleur monter en moi puis rosir mes joues, laissant paraître au grand jour ma frustration. Il se tourna finalement vers moi et m’observa de ses grands yeux noirs. Je sentis alors mon rythme cardiaque s’accélérer, il battait jusque dans mes tempes.

- Tu as l’air… bizarre. Tu es sûr que ça va ? Me demanda-t-il.

- Oui ! Lui répondis-je sur un ton qui exprimait tant ma colère que ma déception.

Il continua à m’observer quelques instants, les sourcils froncés qui montraient son mécontentement, et le regard dur et sombre comme le jais. Puis il se pencha de nouveau sur l’exercice l’air perplexe.

Je me sentais mal à l’idée de l’avoir rejeté ainsi, mais qu’avait-il à me tenir à l’écart. Il me donnait l’impression de vouloir préserver une certaine distance entre nous, de me garder loin de lui. Pourquoi, qu’avais-je bien pu faire pour mériter cela ? Nous n’avions échangé que peu de mots tous les deux et j’étais persuadée de ne rien avoir dit ou fait qui mérite ce dédain, cette froideur. Était-ce tout ce que je lui inspirais.

De la détresse, voilà ce que je ressentais. J’aurais voulu sortir de cette salle et Lamya avait dû le sentir car elle m’observait avec un regard emprunt d’interrogation et de douceur. J'essayais de la rassurer en la gratifiant d’un petit sourire en coin, mais sans grande conviction. La fin de l’heure défila sans que l’un d’entre nous ne fasse un geste en direction de l’autre. M. Teyssier clôtura le cours en nous confiant un devoir à rendre pour la semaine suivante.

 

La pause déjeuner s’annonçait tendue. Il me faudrait m’expliquer avec Laurent car je ne pouvais supporter l’idée de m’éloigner de lui pour des raisons si futiles. De plus, mon cœur risquait de céder sous le tumulte irrégulier de ses battements.

Laurent ne montrait que froideur et dédain, pourtant je me sentais inexorablement attirée vers lui, cherchant à cerner les méandres sinueux de son esprit. La frustration et la colère avaient pris le dessus sur le moment, mais il m’était impossible de lui en vouloir. Après tout, si j’étais restée à ma place, rien de tout cela ne serait arrivé.

Lamya nous laissa seuls tous les deux, le temps d’aller aux toilettes. Je la soupçonnais néanmoins de le faire dans le seul but de nous offrir un tête à tête, car elle s’y était déjà rendue par deux fois dans la matinée.

Laurent paraissait toujours aussi absorbé par ses pensées, il ne semblait même pas avoir remarqué la disparition momentanée de Lamya. N’y tenant plus, je saisi l’occasion pour tenter d’obtenir des explications :

- Pourquoi tu n’as pas voulu de mon aide ce matin ?

- Je n’en voulais pas, c’est tout. Me répondit-il d’un ton calme bien que ses yeux laissent paraitre un soupçon de surprise.

- Tu avais l’air de patauger, alors j’ai seulement eu envie de t’aider. Tu aurais pu éviter de me jeter comme tu l’as fait.

- Excuses moi, je n’avais pas l'intention de te blesser. Mais tu te mêles sans cesse de ce qui ne te regarde pas.

- Je suis vraiment naaaavrée d’avoir voulu entrer dans ta vie sans ta permission ! Mais puis-ce que c’est comme ça je te laisserai te débrouiller seul à l’avenir !

Je m’étais levée et commençais à partir d’un pas décidé, mais il me rattrapa en me saisissant la main. Ce contact me cloua sur place. Il relâcha ma main précipitamment alors que je me tournais vers lui pour lui faire face, comme s’il regrettait son geste. Il m’observait, et son regard l’espace d’une seconde avait laissé fondre la glace pour faire place à la tristesse.

- Je…suis désolé ! me dit-il enfin. Je n’aurais pas dû te traiter comme je l’ai fait mais…

Il semblait hésiter, comme s’il avait peur de se confier. Puis après quelques secondes de silence :

- … mais je n’en peux plus, j’ai les nerfs à vif depuis que j’ai laissé ma copine, Sandra. Tu vois, elle fait ses études assez loin d’ici et j’ai l’impression qu’on s’éloigne l’un de l’autre. Enfin…tu vois ce que je veux dire ! En fait je sais même pas pourquoi je te dis tout ça. Après tout, ça ne te regarde pas…

 Il s’interrompit, pour ajouter finalement :

- Excuses-moi, je n’aurais pas dû dire ça, mais c’est q…C’est étrange. Je suis là à te parler, et toi tu…

- Je t’écoute simplement. Enfin, si c’est ce que tu souhaites. Finis-je sur un ton presque suppliant.

Il tourna brusquement la tête. Lamya était revenue et nous observa tour à tour avec des yeux interrogateurs. Ce fût Laurent qui rompit le silence dont la basse était devenu un peu moins froide :

- On va manger ?

Lamya acquiesça, et partie devant en nous ouvrant la marche. Laurent se tourna discrètement puis me gratifia d’un sourire, que je m’empressais de lui rendre.

 

J’avais du mal à réaliser ce qui venait de se passer. Mais pour la première fois, il avait laissé paraître une brèche dans le mur de glace qui le protégeait. Il avait même sourit, entamant d’avantage la fêlure qui, lors de notre première rencontre, avait désuni ma raison de mes sentiments. J’étais convaincu que ce qu’il était réellement était bien différent du visage qu’il daignait nous montrer. Le temps m’aiderait probablement à lui ôter ce masque. A moins que mon être tout entier ne cède avant. Plus les pièces de son puzzle se réunissaient, plus les miennes se dissociaient.

Pour l’heure, je pressais le pas afin de ne pas me laisser distancer. Le repas ainsi que le reste de la journée se passa dans une ambiance détendue et Lamya n’avait de cesse de nous faire rire avec ces interrogations pleines de naïveté. Ses parents l’ayant un peu surprotégée, elle donnait parfois l’impression de découvrir le monde avec le regard neuf d’une jeune enfant. Son innocence n’avait d’égal que sa force de caractère. Elle ne manquait donc pas de nous brimer à son tour sur des sujets qu’elle maîtrisait. Le domaine des choses simples qui constituent notre quotidien était une véritable énigme pour elle, tandis qu’elle déchiffrait avec la plus grande adresse le comportement de nos contemporains. C’était sans aucun doute une fille véritablement brillante. Elle manquait simplement de quelques connaissances basiques, mais ne manquerait pas de combler très rapidement ce léger retard. Même si en réalité, je n’étais pas pressée de voir ce moment arriver, car cela ne faisait qu’accroitre sa sympathie à mes yeux.

Le souvenir de sa découverte sur l’origine des lardons n’avait pas fini de me faire rire. Elle n’en avait jamais vu auparavant et demanda ce que c’était et d’où ça venait. Laurent s’était empressé de lui expliquer que c’était des lardons et que ça poussait sur les arbres à lardons, en me lançant un regard entendu. Lamya avala chacune de ses paroles sans même oser la mettre en doute. Mais alors que Lamya allait enfourner une bouchée pour y goûter, je m’empressais de l’en empêcher.

- C’est pas vrai ! Emma, tu exagères. M’avait réprimandé Laurent en me lançant un regard faussement froid cette fois-ci.

- Désolé, mais je ne pouvais pas laisser faire ça. Le réprimandais-je. Les lardons sont des plantes qui ne sont pas comestibles pour les croyants ! M’expliquais-je, tentant d’étouffer mon fou rire en vain.

Le rire de Laurent se joignit au mien alors que Lamya trépignait d’indignation. Après quelques explications de notre part elle fit semblant de bouder, mais ne réussit pas à tenir très longtemps.

 

Le soir venu, elle s’empressa de rejoindre son appartement où ses parents l’attendaient. Voyant que je ne semblais pas décidée à partir, Laurent me demanda :

- Tu reste ici pour le week-end ?

- Oui, toi aussi ? Lui demandais-je sachant pertinemment ce qu’il allait me répondre.

- Oui. Tu voudrais qu’on se voit, pour discuter un peu ? Me dit-il après un instant d’hésitation.

- Avec plaisir ! Je peux même te proposer un petit coup de main pour le devoir de maths si tu veux.

- Si tu y tiens.

- Que dirais-tu de demain ? Je t’apporte de quoi manger et après on se met au boulot.

- Je veux bien bosser avec toi, à la seule condition que ce soit moi qui m’occupe du diner.

- C’est pas un plan pour m’empoisonner au moins ?

Il me regarda d’un air renfrogné tandis que j’ajoutais :

- ...Bon, c’est moi qui apporte le dessert.

- Marché conclut !

- Disons demain, 11H30 ?

- Ok, bonne soirée ! Profites bien de ta dernière nuit ! Me lança-t-il nonchalant, avant de tourner les talons.

- C’est ça ! A demain !

 

Je retournais dans mon petit appartement, heureuse de cette journée. Même si elle avait été éprouvante, je montais les sept étages qui me séparaient de mon petit chez moi sans même m’en rendre compte. J’étais sur un petit nuage, me repassant sans cesse son visage marqué de ce petit sourire affectueux dont il m’avait gratifié le matin même. Il n’avait pas toujours été tendre avec moi, mais chaque fois que mon esprit me renvoyait son image, tout sentiment de rancœur à son égard s’évanouissait totalement. Avec Laurent comme adversaire, le combat était perdu d’avance.

Je passais une partie de la soirée à ressasser les évènements de la journée. C’était pour moi la façon la plus douce d’écourter les heures qui me séparaient de lui.

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ISBN : 9782332658111

Amandine Salique
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